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main tenant
3 février 2010

Bright Star, de Jane Campion

affiche_bright_starJohn Keats est mort jeune ; son œuvre, assez méprisée de son vivant, est devenue une des plus importantes de la littérature anglaise. En choisissant de raconter la fin de sa courte vie, Jane Campion s’est attachée à suivre Fanny Brawne, une jeune femme dont il fut amoureux, comme si la réalisatrice était la petite sœur de Fanny, chaperonnant l’aînée et découvrant le secret des jeunes gens.

Certes, cet amour chaste et romantique occupe toute la trame narrative, et on pourrait s’y arrêter, être agacé par l’intrusion de Fanny (Abbie Cornish) dans la vie de John (Ben Whishaw), puis entrer en empathie quand elle emplit sa chambre de papillons, par exemple, souffrir avec elle quand il disparaît à Londres, pleurer quand il meurt.

Mais le film de Jane Campion raconte aussi quelque chose de la poésie. « Nous tissons une toile entre nous », dit John Keats. Et cela me semble une belle définition de la poésie, et du cinéma. Quand John écrit, Fanny coud. Et l’un et l’autre, même si on ne voit pas John écrire, doivent réussir le point, savoir découdre, couper, recoudre, broder, raturer, reprendre… L’analogie est totalement à l’œuvre dans ce film. Ecrire et coudre, écrire et tisser, c’est le même travail. Le texte a quelque chose à voir avec le textile. Et cela dépasse la simple analogie entre couture et écriture, cela se prolonge avec le cinéma, qui connaît aussi le découpage et le montage. Ainsi, quand Fanny passe, dans une des scènes du film, entre le rideau et la fenêtre, la caméra s’imprègne de l’image, l’écran est le rideau qui révèle le personnage.

Il n’est pas anodin de suivre les efforts de Fanny pour approcher la poésie. A travers elle, s’en perçoit la difficulté, l'exigence. Et le duo Keats – Brown (Paul Schneider) montre aussi deux approches du genre. Ainsi, quand Keats dit que le poète est un homme ordinaire et que son écriture est travail, Brown prétend que les poètes qui ont l’air de ne rien faire sont, en réalité, en train d’attendre l’inspiration. Le même Brown laisse entendre qu’un poète pense plus profondément qu’un vulgaire être humain. Les poèmes de Keats ont été maltraités par les critiques qui ne supportaient pas sa manière de désacraliser le langage.

Bright Star est le titre d’un poème de Keats, une première fois entendu dans le film, à deux voix, discuté entre Fanny et John comme un jeu amoureux mais aussi comme on discute de poésie, du sens et de la forme ; ce poème revient dans la bouche de Fanny marchant dans la campagne et diffusant les mots hors des cercles fermés de la littérature morte.

Enfin, en choisissant de faire entendre (sans sous-titrage) un poème de Keats pendant le générique, Jane Campion en affirme la musicalité et l’audace.

Commentaires
D
Beau texte, cher Marc. Très éclairant. Tu as l'oeil pour déceler les relations intimes entre les arts au sein de ce film. J'irai le voir. Grâces te soient rendues. Avec toi le cinéma va gagner un billet d'entrée.<br /> Je ne sais pas si le poète attend l'inspiration. Les Oulipiens savent la stimuler. Ils ont pour ça leur kamasutra ou leurs sex-toys (!!). Mais on peut écrire sans en avoir l'air. Les mots dessinent leurs figures dans la tête en s'inscrivant dans une tonalité mentale qui obsède. Et là, mieux vaut avoir une feuille de papier et un crayon sous le main. Car la poésie mentale est volatile.
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