Un mot pour un autre
Voici quelques poèmes, dont le premier m’est revenu en mémoire à la lecture du livre de Jane Sautière présenté ici, dans ce blog, et dont je reprends la fin ci-après :
Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est avenu
Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné le roi de gloire
Et pauvres rentes
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta
L'espérance de lendemain
Ce sont mes fêtes
(Rutebeuf adapté par Léo Ferré)
Ce sont ces vers que vous allez modifier. Pour cela vous y introduirez des mots de l’un des quatre autres poèmes, comme je vous le montre ci-dessous.
D’abord, choisissez un de ces poèmes : l’un ou l’autre de Jules Supervielle ou celui de Béatrice Libert ou celui de Mireille Fargier-Caruso.
Encore frissonnant
Sous la peau des ténèbres
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
Je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
Je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j’ai de nocturne,
D’étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir.
Jules Supervielle - La fable du monde
Je bats comme des cartes
Malgré moi des visages,
Et, tous, ils me sont chers.
Parfois l'un tombe à terre
Et j'ai beau le chercher
La carte a disparu.
Je n'en sais rien de plus.
C'était un beau visage
Pourtant, que j'aimais bien.
Je bats les autres cartes.
L'inquiet de ma chambre,
Je veux dire mon cœur,
Continue à brûler
Mais non pour cette carte
Qu'une autre a remplacée :
C'est nouveau visage,
Le jeu reste complet
Mais toujours mutilé.
C'est tout ce que je sais,
Nul n'en sait d’avantage.
Jules Supervielle, Le forçat innocent suivi de Les amis inconnus
Rappelle-toi nous étions en avril
Le monde était cet étang
Autour duquel nous promenions
Notre désir insatiable d’aller
On décryptait les heures les paysages
Comme autant de poèmes graphiques
Les limites autorisaient en nous l’illimité
Il ne fallait en rien faillir
Parfois on ne savait pas
Si la jour était dans la nuit
Si la nuit hantait le jour
Tressés l’un en l’autre ils ondoyaient
Le siècle devenu bancal
Cherchait une place au soleil
Une espérance comme un glaïeul
Revenu d’un antique jardin
Quelques fétus flottants
Semblent narguer notre lourdeur
Que charrient-ils avec l’indifférence
Des bois morts ou des rêves stériles ?
Le ciel les invite au voyage
Satellites de notre imaginaire
Cousins de ceux qui tournent
Dans nos proches confins
Béatrice Libert, Comme un livre ouvert à la croisée des doutes
L’arôme du silence à midi sur la mer inscription légère des mouettes
dans l’incendie du jour non loin du champ si gai des citronniers
soleil mêlé à l’eau turbulence des souffles épaules dénudées
les mains sur les genoux les hanches c’est la première fois
un émoi si vif à vaciller un cri dans l’herbe dépliée comme un drap
nulle ombre encore sur la nuque migration des caresses sur la peau
lèvres entrouvertes dans l’allégresse de juillet ce feu où tu te perds
comme une émeute en toi cet au-delà entre les jambes
une musique que tu n’oublieras plus
plus tard le calme des dunes respiration tranquille du sentier
qui ramène au village avec dans la bouche un goût de fruit tout juste mûr
très frais avec ce plein au corps odeur de laurier sous les canisses
langueur du soir la danse des voiliers le grincement des mâts
assise sur un banc devant la maison le cœur suit le rythme des pas
qu’il reconnaît si bien de loin le sang bat plus fort aux tempes
tout autour t’enveloppe la brume chaude des plages un peu de sable déjà
au seuil des doigts dessinant un désert futur impénétrable
dans le tumulte des oiseaux revenus et lentement l’obscurité blesse le jour
Mireille Fargier-Caruso, Un peu de jour aux lèvres
Exemple : je remplace des mots du texte de Rutebeuf par des mots du premier poème de Jules Supervielle.
Que sont mes amis frissonnants
Que j'avais sous la peau tenus
Et tous les matins aimés
Ils ont été recomposés
Je crois le vent les a mélangés
L'amour est précédent
Le mal ne sait pas peu venir
les jours qui m'étaient à venir
voici avenus
Pauvre sens et pauvre fenêtre
M'a jour donné le roi de gloire
Et pauvres temps
Et droit au cul quand bise respecte
Le vent me vient, les minutes m'éventent
L'amour est encore
Ce sont nocturnes que vent emporte
Et il ventait dedans ma porte
Les prêta
Le soleil de lendemain
grandit mes fêtes
Vous constatez qu’il faut échanger des mots vers après vers : dans le premier vers de Rutebeuf, remplacer un mot par un mot du premier vers de celui que vous avez choisi, et ainsi de suite. Il faut bien sûr un peu aménager le vers pour que ça tienne : accords de nombre notamment (singulier / pluriel).
Si vous n’allez pas au bout des vingt vers, ce n’est pas grave. Mais essayez au moins sur huit vers. Et postez votre poème ainsi recomposé dans les commentaires ci-dessous. Merci