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28 août 2022

Pouvoirs de la lecture, de Peter Szendy (éd. La Découverte)

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En avançant dans la lecture de ce livre, on comprend qu’il est moins question des pouvoirs que pourrait exercer la lecture sur celui ou celle qui lit que les pouvoirs à l’oeuvre dans la lecture. Et l’auteur de cet essai s’intéresse aux moments de lecture qu’on peut lire dans tel ou tel ouvrage.
Qui lit ? Est-ce ma voix que j'entends ? Est-ce celle de l'auteur.e ? Est-ce celles des personnages ? Et qui me dit de lire ? Et si c’est moi-même, que suis-je alors ? Cet esclave dont la disparition affecte Cicéron ou celui à qui Socrate dit de lire : « Eh bien, esclave, prends ce volume et lis » ? Cela fait au minimum une relation triangulaire : celui qui a écrit, celui qui, traversé par le texte, lit à voix haute, et celui qui écoute. Mais d’autres positions sont aussi possibles : celui qui lit peut aussi se dédoubler ou disparaître. 
Ces positions se retrouvent aussi dans un livre de Sade, La philosophie dans le boudoir. Sade écrit plutôt le mot « postures ». Dans ce chapitre, Peter Szendy fait intervenir Barthes et Lacan et s’intéresse peut-être plus au destinataire de la lecture.
Dès le début de cet ouvrage, on comprend que l'acte de lire ou de faire lire a quelque chose d'érotique.

À ce moment, l’essai semble suspendu pour entrer dans un tribunal où il est question de savoir si Madame Bovary, le livre de Flaubert, est contraire aux bonnes moeurs. Les avocats diront, l’un après l’autre et pour des raisons différentes, qu’ils ne peuvent pas lire tout le livre. L’un parce qu’il a autre chose à faire, l’autre parce qu’il est trop ému.

Après ce passage par le tribunal, on revient à la lecture par l’ouvrage d’Italo Calvino qui commence par cette adresse : « Tu es sur le point de commencer à lire le nouveau roman d’Italo Calvino, Si une nuit d’hiver un voyageur ». Le lecteur ou la lectrice est ici directement interpelé.e. Le genre est-il important ? Calvino émet à ce sujet des remarques, notamment, après s’être adressé à la lectrice, Calvino rassure le lecteur qui est « toujours un des tu possibles ».

Les derniers chapitres de l’essai me semblent changer d’angle. Avec le Léviathan, de Hobbes, et dès le frontispice, il sera question de la place du lecteur, « dans la multitude et hors d’elle ». Et sa lecture aura quelque chose du prophète : celui qui lit et devient porte-parole, celui qui anticipe ce qu’il n’a pas encore lu, et de ce fait se détache même du texte.

Et voici que Paul Valéry regrette que « l’homme voit et ne lit plus ». Et il écrit Mon Faust, où la lectrice à qui Faust demande de lire ce qu’il a écrit se nomme Lust : c’est à la fois un mot qui signifie « plaisir » en allemand et une ancienne orthographe pour la troisième personne du subjonctif du verbe « lire ». Mais elle semble distraite, Lust, et parfois se détache de sa lecture, anticipant ce qui n’est pas encore écrit.
Nous allons ensuite être invité.e.s à suivre le destin d’un livre de László Krasznahorkai, Guerre et guerre, qui va nous conduire à l’entrée d’un bâtiment et sortir réellement du livre. Et nous aborderons enfin l’archilecture, après que l’histoire du livre a fait advenir le volumen, le biblion, le codex, et donc autant de façons de lire, un peu comme Joan Fontcuberta écrit qu’il y a désormais plus d’images qu’on pourrait en voir, la lecture pourrait échapper au lecteur, oisif (comme le qualifie Cervantes) ou hypocrite (selon Baudelaire) et qu’on pourrait alors dire « il lit » comme on dit « il pleut »… 

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