105 rue Carnot, de Felwine Sarr (éd. Mémoire d'encrier)
Comment devient-on Felwine Sarr ? La première des six courtes histoires raconte le premier amour et l'apprentissage de la poésie, une façon d'être soi, de trouver sa place et de découvrir l'amitié "avec des ailes". Puis il y a les difficultés administratives pour étudier en France, l'essayage du jean, la coexistence avec "nos cousins mammifères", comment Annie découvre l'Afrique, et comment sont les relations de voisinage au 105 de la rue Carnot...
La librairie l'établi inaugurait hier la sixième Ponctuation Urbaine Poétique avec une affiche, texte et dessin, de Rose (@une.roserie, sur instagram) qui nous a offert un concert de ses créations.
Été :
période d'arrêt
de la croissance
des herbacées
On trouve cette indication dans le livre d'Elsa Sanial, Élever (sahus sahus éditions). Toute son existence d'éleveuse est rythmée en saisons, saisons qui n'ont pas tout-à-fait la même signification que pour les motorisé.es, la clientèle, les propriétaires. Et cette vie est chaque jour confrontée au tabou de la mort. Et aux naissances. Au sevrage. Aux textes réglementaires. Au bien-être des animaux, au respect du vivant.
"Chiens, humains, moutons
Notre communauté n'est pas démocratique"
Elle doit être attentive, elle connaît tous les noms de ses moutons. Elle doit aussi apprendre à abandonner. Elle écrit alors : "J'ai mal à mes bêtes"
Lire ce livre permettra peut-être de voir
"Dans le ventre des brebis qui s'arrondissent, l'élan de vie à venir
Dans la fétuque verte à l'automne, une réserve de nourriture hivernale
(...)
Dans la confusion des bêlements, l'appel d'une mère à son petit
(...)
Dans les baies de l'aubépine rougissantes à l'automne, de la vitamine C pour le troupeau
(...)
Dans la course du chien à notre rencontre après quelques minutes de séparation, le lien précieux
(...)
Dans le silence des brebis, la récompense d'un troupeau apaisé"
Dans un document où il évoque les oeuvres de Sibylle Besançon, Louis Doucet cite plusieurs phrases où il est question de ronces :
« Il ne faut pas refuser secours à la ronce qui veut devenir rose. » (Paul Claudel)
« Quand un jardinier veut faire un jardin, il commence par arracher les herbes folles, les prunelliers sauvages, les ronces recourbées ; il met les oiseaux en fuite ; il défonce la terre ; il poursuit les racines, il les extirpe, il les jette au feu. » (Propos - Alain)
« – Il y a des ronces dans mon chemin.
– Détourne-toi. C’est tout ce qu’il faut faire, mais n’ajoute pas : Pourquoi y a-t-il de pareilles choses dans le monde. » (Pensées pour moi-même - Marc-Aurèle)
« Une couche de ronces vaut bien des tapis pour un mort. » (Élégies - Théognis de Mégare)
« Voilà le train de la vie ; l’un court à travers les ronces sans se piquer ; l’autre a beau regarder où il met le pied, il trouve des ronces dans le plus beau chemin, et arrive au gîte écorché tout vif. » (Jacques le Fataliste et son maître - Denis Diderot)
« Si une forêt surgit pour vous empêcher d’avancer, écartez les arbres. Les ronces vous suivront. » (Notes et Contre-Notes - Eugène Ionesco)
Je me permets d'ajouter ici une autre citation, extraite du livre d'Elsa Sanial,Élever (sahus sahus éditions) :« La ronce est notre richesse.»
C'est une rencontre, un coup de foudre comme on dit, que Nancy Huston traite avec humour à défaut d'amour, une histoire déjà ancienne, dont on trouve les textes dans un recueil publié en 2023, avec des photos de Francis Jolly, sous le titre Choses dites (collection Iconopop, éditions L'iconoclaste). Poèmes précédés dans cette publication d'une note de l'autrice : C'est en anglais que ce cycle poétique a jailli de ma plume entre janvier et juin 1991, j'en ai fait une adaptation libre en français un peu plus tard. Celle-ci a été diffusée sur France Culture et a fait l'objet, au long des années, de plusieurs lectures publiques.
Je remercie pour leurs amicaux conseils stylistiques en v.f. Alexandre Bord et Katia Wallisky ; en v.o., feu C.K. Williams et, surtout, Denis Hirson.
C'est lors d'une soirée à la Compagnie Résonances, à Paris, que j'ai vu et entendu Nancy Huston lire ces textes, accompagnée par Claude Barthélémy (oud, guitare) ; l'humour surgit à la dernière ligne de chaque poème, et masque la détresse, à peine.
THE LITERATE LEMMINGS
for ages we'd been cavorting
on the cliff-edge
proud of our precariousness
contemptuous of the swarms
that kept rushing blindly past us
to their deaths
then we happened on each other
and it seemed to be a sign
the sign said : this way to happiness
it pointed straight to the void
unable to refrain from proving that
unlike the other lemmings
we now how to read
we grabbed hands and ran for it
LES LEMMINGS CULTIVÉS
longtemps nous avions gambadé
au bord de la falaise
fiers de notre précarité
et méprisant les foules
qui aveugles se précipitaient
vers leur mort
un jour nos chemins se sont croisés
et ce fut comme un signe
un panneau qui disait : par ici le bonheur
et pointait l'abîme
Impatients de prouver que nous
à la différence des autres lemmings
nous savions lire
on s'est pris par la main et on a sauté