Frères sorcières, d'Antoine Volodine (Éditions du Seuil)

Lorsqu’il a créé les auteurs post-exotiques, Antoine Volodine a annoncé qu’ils seraient les auteurs de 49 livres. Frères sorcières est le 43ème. 

Il contient trois parties qui s’articulent autour de la parole proférée, des imprécations, des slogans étranges, venus du fond des âges. La grand-mère d’Éliane Schubert, comédienne dans la Compagnie de la Grande-Nichée, les prononçait déjà et Éliane Schubert elle-même les scande à son tour pour résister au sort violent, qu’elle partage avec les autres comédiennes et ses soeurs d’élection. Puis, après s’être laissé envahir par ces slogans, le lecteur, la lectrice plongera dans l’obscurité profonde de la nuit des temps, celle où naissent les mythes les plus cruels, celle des ogres, des terreurs, et de l’humour aussi. Celle où, parfois, on reconnaît notre époque au détour d’un mot, entre deux moments, entre la vie et la mort, entre le rêve et le réveil.

Étrange nuit profonde d’où n’arrive aucune lumière, trou noir dans la voûte céleste, est-ce qu’il vient de là ? De cette matière inexprimable ? Et quelles sont ces prières dont il recouvre les morts qu’il a lui-même tués ? Homme, père, ogre, Chronos dévorant ses enfants mâles et visitant les rêves de ses enfants femelles. Est-il horrible à voir ou est-ce en lui que nous vivons, dans ses rêves, dans ses paroles qui parfois sifflent comme des armes tranchantes. Le noir absolu, couleur qui perturbe la perception de notre oeil et rend indéfinissables contours et perspectives, nous y sommes. Dans cette nuit, entre big-bang et fin des temps, qui s’éternise. S’éternise. Sept enfants, sept filles de l’ogre dévorées par leur père, sept garçons s’élançant hors de l’antre. « Sept frères corbeaux », « sept mésanges mineures », « sept filles belettes », « sept cavaliers inconnaissables ». Sans la parole, ces mots n’existent pas. La Bible prétend qu’au commencement était le verbe. Dans ce récit de longue nuit, le verbe n’est pas seulement au commencement, il est. Il dit ce qui est et ce qui n’est pas, ce qui a été, ce qui sera et que la mémoire a déjà enregistré.