Mauvaise fille, de Justine Lévy
Elle s’appelle Louise. Son père, c’est papa, quelquefois Bernard. Sa mère, Alice, une très belle femme qui a, semble-t-il, dilapidé tout, argent, amour, aptitudes, et qui, au début du livre, entre à l’hôpital pour n’en plus sortir vivante ; c’est maman. Elle, Louise, est enceinte et en prend conscience presque par hasard, à la page 24.
Justine Lévy est partout, dans les journaux, à la télé, dans la liste des éventuels prix littéraires. Ce que raconte son livre est donc aujourd’hui assez connu. Pourquoi donc le lire ? Parce que c’est un roman, des personnages à la fois hors du commun et desquels on a l’impression de pouvoir s’approcher. Sauf peut-être de la mère, hospitalisée, déjà passée dans une autre vie avant de mourir. Sa présence est d’emblée de l’ordre du souvenir, du fantasme, du fantôme.
Comme le titre l’indique, le livre concerne la fille. Mauvaise fille. Choisir parmi les définitions : qui n'est pas conforme à la norme, qui est inopportun, qui fonctionne mal, qui procure du désagrément, cause du tort, qui est malheureux, pénible, marqué par la souffrance. Mauvais se dit aussi d'une saison, du temps caractérisés par les intempéries, ou de la mer quand elle est agitée, dangereuse pour la navigation.
C’est une autofiction, comme on dit aujourd’hui. Je n’ai pas lu les livres précédents de Justine Lévy. Et j’ai assez peu d’intérêt pour la vie « pipolisée » pour ne découvrir qu’après coup (et parce que, quand même, on nous le répète) sa filiation. Autofiction, cela signifie que ce qui est raconté est vécu, et, si ça ne l’est pas, ça pourrait bien l’être ; cela signifie que l’auteur prend son propre personnage pour l’exposer (ici sous un autre prénom) au regard des autres ; cela signifie aussi que l’écriture est un moyen, non de thérapie, mais de compréhension du monde, et de sa propre vie. Et quand nous n’en sommes pas à un simple étalage impudique de faits et gestes, que la littérature est vraiment à l’œuvre dans le livre, alors le lecteur peut trouver sa place, entrer dans l’histoire.
De ce livre ci, je retiens le basculement qui s’opère au chapitre 19, la mort de maman («Ça y est, elle est morte.»), qui ouvre sur un après, pas immédiat, puisqu’il faut attendre le chapitre 22 pour amorcer la suite («Mon enfant. Je vais avoir un enfant.»). Et la suite, c’est d’abord le répertoire de maman, toute une vie dans un petit carnet d’adresses, chapitre remarquable qui passe du sublime à l’ordinaire, l’ordinaire dans le sublime et vice versa. Et le chapitre 29, auquel toute jeune mère (et bien sûr tout jeune père) devrait s’exercer et qui se conclut par « c’est normal, c’est ma vie, je suis contente comme ça ».
Assumer, c’est le verbe qui conviendrait le mieux à ce que fait Louise au cours de ce livre. Elle reçoit ce qui lui vient de ses parents, elle reçoit la maladie et la mort de sa mère (« Quand j'étais petite, j'étais comme tous les enfants, je pensais que je ne survivrais pas à ma mère, que je mourrais de chagrin à la seconde même de sa mort. Je ne suis pas morte de chagrin. »), et peu à peu elle assume cet héritage, cette histoire et en devient responsable, c’est-à-dire qu’elle la porte et en répond.