Petites natures mortes au travail, d'Yves Pagès

C’est un petit livre. En poche. Il faut le lire dans les transports en commun. Il parle de tout le monde. Ce sont de courts récits qu’on peut aisément lire entre deux stations.

Chaque récit nous renvoie à une réalité sociale, mais ce n’est pas un livre de sociologie. Il montre des gens, comme vous et moi, et nous invite à un regard décalé. Il ne s’agit pas de confirmer avec du style les données socio-économiques de l’INSEE, des syndicats ou du MEDEF. La réalité est ailleurs : une jeune sans-papiers recrutée pour faire de la figuration dans la scène d’un film se passant dans un aéroport, par exemple (et ça s’appelle «Figuration libre» !) ; la visite d’une mine reconstituée guidée par un ancien mineur (« vas-y, toi-même, en Enfer ! »), et le titre de ce récit est « Fin de carrières » ; ce jeune homme déguisé en Pluto au parc Disney dont le portrait s’achève par ces mots : «L’attraction moderne a sa loi : si tu veux abolir le prolétariat, donne-le en spectacle.»

Tous ces autres ont quelque chose de moi. Je peux rire (et pas me moquer) de leur situation, ça pourrait être la mienne. Comme le montre avec brio le récit intitulé « Les camelots du moi ». Nous avons tous rencontré ces hommes ou ces femmes qui, pour obtenir un peu d’argent, un ticket restaurant, racontent un bout de leur vie. Yves Pagès montre à quel point ceux à qui est adressé le message en attendent « talent dramatique, authenticité du personnage ». Mais surtout, « outre la compassion, il est un autre sentiment, inavouable, qui conduit les usagers du métro à reconnaître dans ces one-man-show pitoyables un rite qu’ils ont eux-mêmes pratiqué. En cette duplicité intime s’entend comme un écho familier, le retour de flamme d’une rhétorique que la plupart connaissent par cœur, celle des entretiens d’embauche. » J'ajoute que j'ai eu cette même impression au moment de l'élection présidentielle...