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main tenant
31 octobre 2020

Passer près des ruines

ruineskoudelka

Près de l’ancienne prison transformée aujourd’hui en musée, se tenait encore un pan du mur bâti en toute hâte lors de la dernière épidémie.
Sur les parois hautes de plusieurs dizaines de mètres, on pouvait encore lire les vieilles inscriptions à demi effacées de la population jadis affolée, les prières adressées au mur, au ciel ou au gouvernement, de grâce protège nous, les appels à la contrition, pardonne nos enfants, les promesses de conversion, nous ne serons plus ce que nous sommes ; on devinait aussi par endroits des insultes étranges en forme de lettres illisibles mal recouvertes par des écritures plus nettes, plus officielles.
Il y a quelque temps, au soir, certains se sont mis à roder autour du mur devenu inutile, mais qu’on a conservé en signe de reconnaissance, ex voto en lui-même, immense et collectif. Secrètement, des types ont commencé à peindre en noir des lettres, quelques mots, puis des phrases insensées en forme de prières telles qu’on les pratiquait autrefois. Que nos volontés soient faites. Mais sans objet désormais, dépouillées de leurs dévotes intentions, ces phrases devenaient autonomes, et détachées de tout contexte, incompréhensibles — élaborant entre elles un mystérieux code dont la clé nous échappait, heureuses les pierres : le royaume des ruines est à eux.

(extrait de Anticipations, d’Arnaud Maïsetti, lu sur le blog Liminaire de Pierre Ménard)

(photo Koudelka)

Ce texte publié il y a dix ans m’est apparu sur Internet au hasard de mes déplacements dans la toile. Nous avons tous en mémoire un pan de mur, limite de propriété, vestige d’un château, d’une forteresse, image d’un film… Je vous suggère d’écrire au moins deux paragraphes à la suite du texte ci-dessus. Vous y développerez une idée née d’une phrase écrite sur le mur (phrase qu’il vous appartient d’imaginer sur le mode de celles qui sont dans le texte : « que nos volontés soient faites », « heureuses les pierres : le royaume des ruines est à eux ») et vous raconterez ce qu’il advient du mur ensuite.

Exemple :
Quelqu’un avait raturé la première formule pour la transformer et remplacé eux par elles (le royaume des ruines est à elles). On avait longtemps pensé qu’il s’agissait d’un des instituteurs enseignant dans ce qui fut une école avant d’être une prison,  le correcteur pensant certainement que les ruines sont aux pierres. Mais des recherches récentes ont permis de rétablir l’écriture initiale : des squelettes de lézards ont été retrouvés dans les maigres restes de l’édifice. La phrase donc faisait des lézards les rois des ruines.
Qui dit lézards dit aussi soleil. Or le pays était plongé dans l’ombre depuis si longtemps que personne ici ne se souvenait du soleil. Tous vivaient dans des grottes creusées dans les parois de la montagne, se nourrissant des poissons de la rivière qui coulait en contrebas, poissons pleins d’arêtes et dont il fallait éviter une poche de poison de leur intestin, et de racines qui produisaient sur eux des effets hallucinatoires. On pensait que c’était après avoir mâché ces racines que les phrases avaient été écrites sur ce mur en ruine. Et, à présent il ne reste plus grand chose, une seule pierre sur laquelle on peut lire « avez-vous vent de la vie qui vient ? »

C’est à vous main tenant. Continuez de deux paragraphes au moins le texte d’Arnaud Maïsetti selon les consignes indiquées, et postez votre texte dans les commentaires ci-dessous. Merci.

ci-dessous, une photo du Mur des Fédérés envoyée par Jean-Michel pour accompagner son texte  publié dans les commentaires

20201111_104334

 

Commentaires
L
Mon amie Cynthia et son mari Thierry ont récemment acheté une ferme avec plusieurs hectares de terre dans le Berry. Elle a pour projet avec son mari de la rénover et d'en faire plusieurs chambres d'hôte. Après plusieurs années de réflexion, elle et Thierry ont enfin sauté le pas et vivent enfin la vie qu'ils ont toujours souhaité avoir. <br /> <br /> Sur leur nouvelle propriété, une caravane délabrée faisait l'objet de bien des discussions au sein de leur couple. Par curiosité, je demandais à Cynthia si elle pouvait me conduire à ce curieux véhicule qui de prime abord, semblait abandonné depuis un bon moment. <br /> <br /> La carrosserie était recouverte de poussière, de branchages et de mousse. La caravane était dissimulée par la nature, comme pour empêcher toute intrusion inconnue. Je me frayais maladroitement un chemin, en écartant les ronces et les orties qui gisaient sur mon chemin. Imposante par sa taille, couleur blanc cassé, j'ouvris la porte qui se mit à doucement crisser. <br /> <br /> L'intérieur sentait le moisi et il y faisait froid et sombre. L'endroit avait jadis été habité, on pouvait distinctement deviné le coin cuisine, la partie salle de bain et la chambre. Des inscriptions et slogans révolutionnaires habillaient les murs et conféraient à ce lieu une histoire insoupçonnée depuis l'extérieur. Fascinée, je découvris non sans quelques frissons les slogans "All cops are bastards" "Pouvoir au peuple, mort aux vaches!" "Peace and love" ainsi que des dessins et caricatures qui donnaient vie à ce lieu. <br /> <br /> En poursuivant ma découverte, je tombais nez à nez sur une pile de bouquins et des lettres rédigées à l'encre de chine qui dévoilaient une écriture ronde, sans rature et aérée. Mes yeux parcoururent en diagonale ces lettres et puis s'arrêtèrent. J'avais l'impression d'avoir pénétré ce lieu sans y avoir été invitée. Dehors, Cynthia me criait qu'elle avait froid. Après avoir jeté un dernier regard nostalgique à ces objets qui ont un jour appartenu à quelqu'un, je rejoignis Cynthia à l'extérieur.
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C
Plus personne n’aurait songé à écrire « il est interdit d’interdire ». C’en était fini de l’exaltation poétique. On avait franchi un cap incroyable et tous ceux qui avaient le recul nécessaire se demandaient comment cela avait bien pu se faire. Je parle d’un cap mais il s’agissait plutôt d’un « gap ». Un fossé incommensurable entre l’avant et l’après. On entendait sans cesse évoquer le monde d’avant et on n’avait pas d’idée de ce que serait le monde d’après. Pour l’instant on était dans le monde de ‘pendant ce temps-là’ et on ne parvenait pas à se représenter la suite. Pourtant déjà se fissuraient nos représentations anciennes et de nouvelles prenaient vaguement forme, floues, instables, inquiétantes. Il aurait sans doute suffi d’utiliser les pierres du vieux mur pour jeter un pont et passer de l’autre côté mais personne n’y avait encore songé.<br /> <br /> <br /> <br /> Les vestiges du mur ne manqueraient certainement pas de charme plus tard, pierres vermoulues, polies ou au contraires effritées, recouvertes de mousse par endroit, matière brute aux couleurs douces. On avait pensé jadis que les frontières s’écrouleraient d’elles même sans qu’il soit besoin d’aucune action. A l’annonce d’autres effondrements, les plus optimistes avaient sablé le champagne, dansé, chanté, s’étaient embrassés à bouche que veux-tu, avaient emporté quelques morceaux du vieux mur afin d’en conserver un souvenir. Mais c’était une autre histoire. Pour l’instant on était au pied de ce mur-là, et on n’avait pas fini d’en faire le tour. Dans un angle mort, quelqu’un, sans doute lassé de toutes ces simagrées, avait écrit : ‘abat les gestes barrières, vive les retrouvailles et les bonnes vibrations’. Pour les générations futures, la signification de ce message resterait mystérieuse.
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J
crient <br /> <br /> (Scuplture de Moreau Vautier dans le square Samuel de Champlain, Paris XX )<br /> <br /> <br /> <br /> « Ce que nous demandons à l’avenir, ce que nous voulons de lui, c’est la justice pas la vengeance ». Victor Hugo<br /> <br /> Cet épigraphe est gravé en bas à gauche du mur créé par le sculpteur Moreau-Vauthier en hommage aux derniers communards fusillés sur le mur des fédérés mais plus largement aux victimes des révolutions.<br /> <br /> La particularité ici, c’est que c’est une sculpture-mur, dont l’objet appelle compassion et commémoration. <br /> <br /> Au premier regard, ce qui m’intrigue et me touche de manière très naïve, ce sont les visages qui sortent du mur, très expressifs, bouches ouvertes, implorantes, agonisantes… il y a aussi des mains, des bras, des morceaux de corps dont l’usure du temps sur la pierre accentue pour moi tout le pathétique.<br /> <br /> Or ce matin du 11 novembre, aux alentours de 8 heures, j’entends à la radio le compositeur Dusapin* qui dit: « j’ai bâti une idée qui était de transformer le Panthéon en une sorte de grand cœur, de grand poumon vocal comme s’il s’agissait de faire chanter les pierres ». <br /> <br /> Le lien avec mon mur des lamentations est rapide… si les pierres chantent, pourquoi ne pourraient-elles pas hurler à leur tour, de toutes leurs bouches, de tous leurs yeux et de tout leur corps ? Ce qui me touche, c’est que l’érosion a agi sur ces visages, effaçant des traits, ou faisant ressortir des expressions plus saillantes ou plus brutes. Elles luttent aussi contre le temps et l’oubli. Opiniâtrement, ces visages effacés semblent vouloir sortir de leur tuffeau originel pour hurler au nez des passants.<br /> <br /> Les visages agitent la surface du mur qui plisse comme un voile, un peu comme des ectoplasmes… l’abrasion du temps a transformé la matière dure de la pierre, en des formes plus évanescentes et fragiles ; ces figures, ces bras, ces morceaux de corps rendus à leur dimension de phantasme paraissent vivre une vie tourmentée de fantôme inconnue de moi.<br /> <br /> Plus tard, j’ai appris que Moreau-Vauthier avait réalisé son mur avec les anciennes pierres du mur des fédérés de la commune, ajoutant là, une grande force historique à l’œuvre ; mais plus que ces visages d’outre-tombe, les pierres, matière même de l’œuvre, réservent elles aussi leur surprise, car si on regarde de près, la plupart sont trouées. Mais pas n’importe quelles balles : celles qui ont criblé le corps de ces femmes et de ces hommes qui ne réclamaient que du pain et de la justice. Ici deux mille sont tombés qui ne réclamaient pas la vengeance mais la justice. Seules les pierres témoignent en leur faveur et gardent la trace de leur combat perdu et leur martyr.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> * créateur de la musique composée pour l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix.
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G
Ce matin là, quand elle arriva à l'école le gardien Mr Rogue était en train de terminer de repeindre le mur.<br /> <br /> Tous les mots, les graffitis avaient été effacés.Le mur était lisse et net comme une page blanche.<br /> <br /> La petite fille longeait le mur en sautillant, heureuse.Maman avait mis dans la poche du cartable un pain au chocolat tout chaud encore.<br /> <br /> Et ça la remplissait de bonheur.<br /> <br /> Ce n'était pas un goûter ordinaire, d'habitude c'était pain bis et deux carrés de chocolat noir, une pâte de fruits, ou parfois même le pain de semoule et les olives noires ce qui intriguait beaucoup ses camarades. <br /> <br /> Tout à coup, elle eut envie de laisser traîner son doigt sur le mur tout neuf, comme pour écrire secrètement sa joie du jour.<br /> <br /> Elle aurait bien appuyé sa main dans la peinture encore fraîche pour apposer son empreinte.<br /> <br /> Mais Monsieur Rogue veillait.Il contemplait son oeuvre achevée.C'était un peu comme s'il avait muselé tous les gamins du quartier qui prenaient plaisir à gribouiller ce mur encore et encore...<br /> <br /> Le temps s'écoulait avec lenteur, plusieurs fois elle fit semblant de fouiller dans son cartable pour humer l'odeur douce et beurrée qui s'en échappait.<br /> <br /> La journée fut longue; presque un supplice.<br /> <br /> Mais l'heure du goûter arriva enfin.<br /> <br /> Elle s'isola dans un recoin de la cour, s'accroupit à l'ombre du tilleul et sortit le pain au chocolat. Rien que de prononcer la première syllabe... cho...c'était déjà un délice.<br /> <br /> Elle ôta délicatement le papier de soie un peu gras qui l'entourait en faisant attention de ne pas faire tomber les miettes.Elle prit son trésor dans sa main et l'observa.<br /> <br /> Il reposait sur sa paume ouverte comme une tortue.Elle souleva la croûte brune et craquante comme une carapace et aperçut la mie tendre et douce comme un petit coussin.Elle vit les deux barres de chocolat.Elle prenait son temps.<br /> <br /> <br /> <br /> Tout à coup, en face d'elle se dressa Jean -Pierre, le fils du gardien.<br /> <br /> L'épi bagarreur et le regard impérieux il la dévisageait.<br /> <br /> Elle n'eut pas le temps de réagir.Vif comme un oiseau de proie il s'empara de son butin et l'emporta pour le dévorer plus loin.<br /> <br /> Elle resta là, immobile, dépossédée.<br /> <br /> <br /> <br /> Le lendemain matin, elle partit plus tôt.La rue était encore silencieuse et le mur nu.<br /> <br /> Alors elle prit le morceau de charbon dans sa poche et, sur le mur elle écrivit en lettres énormes, aussi grandes que l'était sa rancoeur<br /> <br /> <br /> <br /> JAN PIÈRE AI TIN SALOT<br /> <br /> <br /> <br /> Voilà! L'insulte suprême était proférée , écrite en noir sur le mur blanc.<br /> <br /> Immédiatement elle se sentit soulagée.Ce mur criait l'injustice à la face du monde.<br /> <br /> <br /> <br /> Sûrement que le gardien allait demander des comptes à son fils.<br /> <br /> Et le gardien il n'était vraiment pas commode, même qu'un jour on l'avait vu tuer une poule.Il voudrait savoir ce qu'avait fait Jean Pierre pour mériter ces terribles injures <br /> <br /> et il serait furieux parce qu'il faudrait encore repeindre le mur.... et peut-être même qu'en plus du pain au chocolat, il donnerait à son fils une bonne tarte!
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F
« Mohamed SOURIA, fils de Slimane, 1642 », écrit en arabe, à la peinture rouge sur la paroi de cet abri de fortune, caprice de la géologie, point final de l’Atlas venu mourir ici, dans le Tassili du Hoggar, offrant le spectacle lunaire de ses roches écroulées. On pourrait croire ce lieu inhospitalier et vierge de toute présence humaine depuis des temps immémoriaux mais Mohamed, de sa belle calligraphie, rappelle qu’il n’en est rien. L’homme est allé partout, de tous temps.<br /> <br /> Les gazelles, fennecs, damans des sables, gypaètes laissent des traces éphémères de leurs passages, petites empreintes vite effacées par le sirocco. Parfois, de loin en loin, une tombe des temps passés indique la fin du chemin pour un caravanier, un targui, un voyageur, un qui passait par là, désormais absent au monde, pour l’éternité, sa présence marquée par des pierres formant cercle figé dans la sépulture recouverte de sable blond.<br /> <br /> Il y a bien longtemps que tu es parti, toi aussi, seul ton nom inscrit de ta main sur la paroi parle de toi. Rien n’est dit, tout est affaire d’imagination. Personne n’a jamais osé recouvrir ta signature et pourtant, personne ne te connait. A jamais voyageur des temps anciens, toujours présent, comme ceux des premiers temps qui ont gravé ou peint dans la roche, pourtant si dure, les girafes, éléphants, lions et rhinocéros qui peuplaient ces contrées nourricières, humides et fleuries, témoignages émouvants d’un foisonnement perdu.<br /> <br /> En hiver 2005, j’ai découvert ton graphe et j’ai été émue par cet humble témoignage de ta présence en ces lieux grandioses. As-tu été aussi heureux que je le suis dans la contemplation de cet immensité splendide ? As-tu eu, toi aussi, le souffle coupé par cet air si violent de pureté lorsqu’il pénètre les poumons ? Ton cœur a-t-il battu la chamade dans la nuit baignée de voie lactée, les étoiles brillant dans le firmament éclairé de lune ? J’ai l’impression de te connaitre depuis toujours. Cher Mohamed des siècles passés à travers le temps, mon moment venu, dis, viendras-tu me saluer, si cela nous est permis et si tu en as envie ? Depuis mon siècle d’imbécilité, de ténèbres et de sauvagerie, repose en paix, mon frère en humanité.
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