Qu'est-ce qu'une vie bonne ? de Judith Butler (éd. Rivages poche)

C’est une phrase d’Adorno que creuse Judith Butler, phrase traduite un peu de travers en anglais par Livingstone (et donc, ici, en français). « Es gibt kein richtiges Leben im fälschen ». On pourrait s’arrêter à cette traduction erronée. En effet, richtig signifie juste, correct, un sens opposé à falsch qui signifie faux. La phrase d’Adorno aurait dû être traduite ainsi : « Il n’y a pas de vie juste dans une fausse ». Cependant, « bon » et « mauvais » sont aussi utilisés pour qualifier un résultat : bon quand il est juste, mauvais quand il est faux. Judith Butler aborde la question de cette traduction vers la fin de sa conférence. Elle a dès le début transformé l’affirmation en question : « Peut-on vivre une vie bonne dans une vie mauvaise ? »

Arrive alors très vite la question de la morale (puisqu’il y a l’adjectif « bonne »), deux formes de vie (le mot est répété) et la notion d’injustice (à cause de l’adjectif « mauvaise »). Différences entre vie privée et vie publique, entre individu et société, entre morale et politique. Et, à partir de là, l’importance des corps, de l’incarnation de la pensée. Puisqu’il y a corps, il y a mort, et la première injustice frappe celles et ceux qui n’ont pas droit au deuil, dont on considère que leurs vies sont perdues d’avance. La vie de l’individu ne peut se séparer du social : « la vie de chacun est impliquée dans la vie des autres ». Et on pourrait élargir cet aspect à la dimension plus large du vivant.

« Si je dois vivre une vie bonne, ce sera une vie bonne vécue avec les autres, une vie qui ne serait pas une vie sans ces autres. Je ne perdrais pas ce moi que je suis ; qui que je sois , mon moi sera transformé par mes relations avec les autres, puisque ma dépendance à l’égard de l’autre, et l’essence même de cette dépendance sont nécessaires pour vivre et pour vivre bien. »