Sculpture, photographie : un horizon commun. Au Parc de Sceaux (92)
Il y a quelques années, j’avais visité à la Bibliothèque Nationale de France (site Mitterrand) une exposition intitulée L'art du nu au XIXe siècle. Le photographe et son modèle. On y voyait notamment des photos qui avaient servi au travail de peintres ou de sculpteurs.
Dans un article du 18 novembre 1997, Magali Jauffret écrivait :
L’irruption de la photographie, au XIXe siècle, est en effet de l’ordre du séisme. Elle déboule dans le processus idéalisant de l’art occidental comme un chien dans un jeu de quilles. Entre peinture, gravure, dessin et sculpture, ces messieurs de l’Académie ne sont disposés, alors, à ne lui faire aucune place. Pire. Pétris de morale bourgeoise et d’esthétique conventionnelle, ils la vivent comme un danger qui reproduit trop fidèlement les imperfections du corps, menace le bon goût et ne traduit pas l’âme. Le domaine du nu résiste particulièrement aux photographes. Comme si ce qui est montrable en peinture devenait inavouable en photo. En 1862, Jean Auguste Dominique Ingres et vingt-six autres artistes signent ainsi une protestation contre « toute assimilation photographique à l’art ». Le débat théorique fait fureur sur le laid, le beau, l’idée, le réel, le vrai. Les peintres réalistes, accusés de parenté avec la photographie, sont suspects, stigmatisés. Alors que les Baldus, Bisson, Malville, Nadar, qui resteront dans la postérité, s’activent à donner leurs premières lettres de noblesse aux vues d’architecte, de Paris ou aux portraits, des photographes anonymes se mettent au service des beaux-arts dont ils deviennent les auxiliaires discrets. Ce sont ces commandes, par définition subordonnées aux besoins des peintres et sculpteurs, et destinées à leur fournir des modèles de substitution ou à saisir des poses difficilement tenables, qui sont exposées à la Bibliothèque nationale de France.
Dans l’exposition du Parc de Sceaux (visible jusqu’au 20 décembre), c’est comme un juste retour des choses. La photographie donne à voir la sculpture. Et la période couverte va de 1839 à 2009. C’est au moins un double plaisir de voir : voir les œuvres des sculpteurs et celles des photographes, deux noms d'artistes sur le cartouche, la localisation, l’époque. Pour peu qu’on en prenne le temps, chaque photo étant brièvement et clairement commentée, il y a là de quoi voyager. On ne se pose plus la question de savoir si la photographie est un art. C’est une évidence. Certaines sculptures, comme celle de Penone dans le Parc de Kerguehennec (photo ci-contre), étant confiée au passage des saisons et des ans pour exprimer un dialogue entre l’œuvre et la nature, la photographie participe à sa réalisation (comme souvent dans le travail de Penone au sein de la nature).
L’exposition permet aussi de bousculer un peu les frontières temporelles, montrant d’un côté les pyramides d’Egypte et de l’autre une installation de Dan Flavin (Passage du temps), de confronter à la fois l’ancien et le nouveau, la vie et sa représentation (comme dans la photo de Gainsbourg au Musée Grévin, ou celle de Fernand Léger face à son portrait réalisé en fil de fer par Calder), et de questionner le regard ainsi démultiplié.