loque
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Lu dans l'anthologie Les grandes choses, de Christian Dotremont dans la collection Poésie Gallimard
J'étais drapeau, souvenez-vous. Je ne représentais aucune nation, j'étais drapeau écorché au vent de la rue du Dauphin, je me gonflais, j'avais de bonnes joues de toutes les couleurs, ma hampe avait de qui tenir, de quoi tenir, je tenais, et dans cette dualité de fidélité au vent de la rue et de rectitude, de logique, regardais avec plaisir défiler le temps.
Tous les jours battait son plein la "fête nationale", les musiques devenaient vent second, plus subtil certes, toutes ces fanfares qui jouaient des fugues, c'était austère et marrant, il y avait dans mes naseaux l'odeur des beignets et des neiges éternelles, et toi, mon enfant, ma soeur, tu passais soudain, tu donnais le baiser au drapeau et de toutes mes forces je tremblais, pendu cependant à mon idée de fer.
(...)
Et me voilà loque, car les rues sont fermées, tu t'es fermée, le temps s'est tassé, le vent s'est résorbé, et je suis au pilori, moi qui étais drapeau, et les musiques travaillent un autre quartier, très loin, à Copenhague encore, juste assez près pour que je m'anime un peu de dégoût, à les entendre.