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main tenant
10 avril 2021

Dans l’escalier

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Oui, cela pourrait commencer ainsi, ici, comme ça, d’une manière un peu lourde et lente, dans cet endroit neutre qui est à tous et à personne, où les gens se croisent presque sans se voir, où le vie de l’immeuble se répercute, lointaine et régulière. De ce qui se passe derrière les lourdes portes des appartements, on ne perçoit le plus souvent que ces échos éclatés, ces bribes, ces débris, ces esquisses, ces amorces, ces incidents ou accidents qui se déroulent dans ce que l’on appelle les « parties communes », ces petits bruits feutrés que le tapis de laine rouge passé étouffe, ces embryons de vie communautaire qui s’arrêtent toujours aux paliers. Les habitants d’un même immeuble vivent à quelques centimètres les uns des autres, une simple cloison les sépare, ils se partagent les mêmes espaces répétés le long des étages, ils font les mêmes gestes en même temps, ouvrir le robinet, tirer la chasse d’eau, allumer la lumière, mettre la table, quelques dizaines d’existences simultanées qui se répètent d’étage en étage, et d’immeuble en immeuble, et de rue en rue. Ils se barricadent dans leurs parties privatives -puisque c’est comme ça que ça s’appelle- et ils aimeraient bien que rien n’en sorte, mais si peu qu’ils en laissent sortir, le chien en laisse, l’enfant qui va au pain, le reconduit ou l’éconduit, c’est par l’escalier que ça sort. Car tout ce qui se passe passe par l’escalier, tout ce qui arrive arrive par l’escalier, les lettres, les faire-part, les meubles que les déménageurs apportent ou emportent, le médecin appelé en urgence, le voyageur qui revient d’un long voyage.

(Début de la première partie de La vie mode d’emploi, de Georges Perec)

C’est ainsi qu’on entre dans l’immeuble où vécut et mourut notamment Gaspard Winckler, artisan, à Paris. Vous connaissez certainement de ces immeubles où l’escalier est encore le meilleur moyen d’accéder aux premiers étages. Parfois, et c’est le cas dans ces bâtiments si hauts qu’on ne s’imagine pas monter ses courses hebdomadaires par les marches, la cage d’escalier n’est accessible que par une porte qui l’isole. Souvent aussi, les allées et venues disent bien des choses de la vie quotidienne des locataires ou des propriétaires. 

Mais que disent, révèlent les escaliers en ces temps étranges où nous ne pouvons plus sortir après 19 heures ? Que disent les escaliers quand nos smartphones enregistrent le nombre d’étages montés dans la journée ? Que disent ces escaliers équipés ou non d'élévateur pour personnes à mobilité réduite ? Peut-être même ne connaissez-vous que ces escaliers de bâtiments publics où sont désormais tracées des lignes marquant les distances à respecter et les flèches pour indiquer les circulations autorisées. C’est ce que je vous invite à raconter aujourd’hui, que vous viviez dans une maison de plain pied ou dans un immeuble très élevé. 

Que votre récit soit réel ou imaginaire, merci de le poster dans les commentaires ci-dessous.

Commentaires
E
En cascade, sur ton corps de marbre, coule une odeur de terre brûlée.<br /> <br /> J’attends droit sa venue.<br /> <br /> La sueur rance de l’ébat vespéral suinte de tes parois opales. <br /> <br /> Je sens moite sa vertu<br /> <br /> Ton giron se gerce sur le fantôme de sa jambe nue<br /> <br /> J’entends le son mat de sa déconvenue <br /> <br /> Et ta lisse pleure l’écho de sa liesse silencieuse <br /> <br /> <br /> <br /> Elle m’a quitté ici, en toi, brulant <br /> <br /> Depuis d’un étage à l’autre<br /> <br /> Dans l’anaphore des jours, des gens<br /> <br /> Des œillets fanent sur tes pierres d’aurore<br /> <br /> <br /> <br /> Ma démence cristallise dans les limbes d’hier<br /> <br /> Quand dans tes sillages de poussières, j’erre <br /> <br /> Dans l’ombre d’un voile mes cicatrices s’éveillent<br /> <br /> Quand tes marches s’effacent sous une pellicule de sel<br /> <br /> Pendant que tout se désagrège plus haut<br /> <br /> A jamais, ma déchéance est pendue entre deux niveaux
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K
Mon immeuble est ancien sans ascenseur, donc l’escalier est roi. Il est large, beau, <br /> <br /> en bois ciré, bien entretenu par la concierge. C'est une femme très active, doublée d'un dragon. Elle tient hall, paliers, en état de propreté exemplaire: elle dépoussière, elle aspire, elle balaie, elle cire les marches, elle lave le carrelage. En plus, elle dépose le courrier sur le paillasson de chaque appartement . <br /> <br /> <br /> <br /> Elle a l’œil: elle voit passer tout le monde, et l'inconnu est tenu de dire chez qui il va sinon demi-tour. Elle chasse tous ceux qui veulent quémander ou vendre quelque chose.. Elle connait la double vie de certains:" tiens François a une nouvelle fiancée".Par mauvais temps, elle vérifie les chaussures des enfants et les leur fait essuyer sur le paillasson et " pas courir dans l'escalier" <br /> <br /> <br /> <br /> Un jour une jeune pianiste a emménagé au 5eme .Je ne vous dis pas comment Maria a surveillé la montée du piano pour qu'on ne déchire pas les tapis ou qu'on n'érafle pas les murs. Ensuite, l'artiste s'est mise a faire des gammes tard dans la soirée. Maria lui a vite dit qu'elle gênait tout le monde: la musicienne a installé une sourdine. <br /> <br /> <br /> <br /> Chaque année, nous avons la visite de paysans bretons avec leur camion plein de pommes de terre. Tout l'immeuble en achète et ils montent les sacs jusqu'aux appartements sous l’œil bon enfant de la concierge! <br /> <br /> <br /> <br /> Au rez- de- chaussée, habite une Asiatique qui a un petit restaurant juste en face. <br /> <br /> Notre souci, c'est qu'elle cuisine" chinois" tôt le matin .L'odeur se répand partout et c'est difficilement supportable à l'heure du café. <br /> <br /> <br /> <br /> Il règne une bonne entente dans l'immeuble : certains se sont liés d'amitié, se reçoivent, se rendent des services. Tout le monde aide la vieille dame du 6eme à monter ses courses, d'autres s'arrangent pour accompagner les enfants à l'école et les rechercher. Nous avons comme voisine une Africaine avec ses trois jeunes enfants qui viennent souvent faire leurs devoirs en buvant un chocolat. Ils sont désireux d'apprendre . <br /> <br /> Quand quelqu'un est malade on peut suivre l'évolution de la maladie, quelquefois pendant des mois quand l'état s'aggrave. A l'occasion de décès, il se manifeste beaucoup de solidarité. <br /> <br /> <br /> <br /> L'escalier ne fait pas que monter les étages, mais il conduit aux portes des appartements où se déroule la vie intime des habitants. <br /> <br /> Vive l'escalier, lieu de rencontres ,de convivialité, d'entraide, et de papotages.
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F
Tu t'inquiètes pour mon installation à Paris. Je te rassure. J'ai trouvé un petit appartement, refait à neuf, au quatrième et dernier étage, dans un vieil immeuble du 12e. Il n'y a qu'un seul logement par étage. <br /> <br /> C'était bien avant le confinement. <br /> <br /> <br /> <br /> Pas d'ascenseur mais l'escalier en bois ciré est très agréable avec des marches pas trop hautes et surtout avec de grandes fenêtres donnant à l'ouest. L'après- midi où j'ai visité ma future location, une belle lumière inondait la cage d'escalier. <br /> <br /> J'ai été très surpris de voir qu'à chaque étage, les habitants avaient aménagé leur grand palier à leur goût. <br /> <br /> Cela aurait été absolument impossible là où nous habitions. Nous n'avions pas le droit d'utiliser le palier à titre privatif. <br /> <br /> Tu vas être étonné. Au premier étage vit un couple avec deux enfants. De belles plantes vertes sont placées près de la rampe. Dans les pots ou bien dans les branches, on aperçoit toutes sortes de petits jouets : des legos, des figurines, des petites voitures. Au sol, un beau tapis de circuit de voitures occupe l'espace qui reste. Juste la place pour passer sur le palier. <br /> <br /> Au deuxième étage, cohabitent trois étudiants qui ont déménagé des meubles de leur appartement en colocation. Quatre vieilles chaises rustiques entourent une table à jeux ancienne. L'ensemble, posé là, semble attendre les joueurs. <br /> <br /> Ce sont mes voisins du troisième étage qui m'ont le plus surpris. Près de leur porte, des piles de livres et de magazines sont posées sur des petites tables basses ou par terre. Quand je suis allé me présenter, ils étaient en train de remplir avec de vieux vêtements de gros poufs poires. <br /> <br /> " On va les mettre sur le palier. Vous pourrez en profiter Monsieur." <br /> <br /> <br /> <br /> En quelques semaines, je suis devenu ami avec mes voisins qui m'ont adopté. <br /> <br /> Quand je descendais ou montais mes escaliers, je pouvais m'amuser un peu avec les enfants, être invité à jouer aux échecs et lire un magazine bien installé dans un pouf poire. <br /> <br /> <br /> <br /> Plus rien de tout cela en cette période de confinement. <br /> <br /> Les rencontres dans l'escalier sont écourtées, mais nous nous rendons des services entre voisins, pour les courses. Nous déposons les paniers pleins toujours bien en vue sur le palier. <br /> <br /> Tout ne reste pas en l'état dans notre escalier. <br /> <br /> Les petits jouets continuent de s'accumuler. Sur le jeu d'échec, les pions changent de place et il y a des livres nouveaux sur les petites tables. <br /> <br /> Alors vois-tu, même si la période est difficile, je vais aménager mon palier en vue des jours meilleurs.
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F
Rue Stalingrad.<br /> <br /> Derrière sa porte close, au premier étage, on entend la télévision qui hurle, en partie parce qu’elle est sourde, mais aussi pour couvrir ses sanglots. La télévision par sa présence artificielle, factice, fausse l'isolement de Gisèle, 88 ans. Toute une vie de travail et de sacrifices se termine là, dans la solitude de son « deux pièces ». Les amis se sont éteints, les uns après les autres. D’autres se sont éloignés et le lien s’est perdu, avec le temps qui file. Le mari est mort, tombé d’une échelle, dans un accident du travail, il y a longtemps. Alors, elle a élevé seule ce fils qui passe, maintenant, en coup de vent, accaparé par ses problèmes conjugaux et son travail harassant. Et puis, il ne sait pas comment s’y prendre avec cette mère autrefois si forte et si gaie, si désemparée, si triste et si désespérée, aujourd’hui. Le petit fils, que la dépression de sa grand-mère n’effraie pas, vient la voir, une fois par semaine pour un long déjeuner. De temps en temps, Ifrikia, la voisine du quatrième l’appelle ou passe la voir pour prendre le thé et échanger des banalités sur les problèmes de santé de la vielle dame. Mais le reste du temps, elle vit dans ses souvenirs, le store à demi baissé constamment, comme si n’avoir qu’une demi-fenêtre de soleil symbolisait cette demie mort. Lilou, la chatte, n’a cure de tout cela, elle tient la patte de sa maîtresse et ne boude pas son plaisir sous ses caresses. Elle la rassure, les nuits d’insomnie, par sa présence ronronnante.<br /> <br /> Au 5ème et dernier étage, on n’entend qu’eux : Karim, Carole et leurs trois enfants. C’est une petite famille de bobos aux gosses turbulents et bruyants auxquels aucune limite, aucun frein ne semblent jamais être posés. Ils tapent dans les murs avec leur ballon, bousillent le parquet avec leurs rollers, hurlent dans les couloirs, balancent tout ce qui leur chante par le balcon et tant pis pour la voisine du dessous, ils se couchent à pas d’heure de sorte que leur fébrilité fait trembler les murs de l’immeuble sur une grande amplitude horaire. Joseph, le voisin mitoyen, qui travaille depuis chez lui, a bien tenté de faire entendre raison à ces parents permissifs, en vain. Ils ont érigé leur inconsistance éducative en modèle de parentalité. Mais la nuit rattrape bientôt ces enfants et il leur faut bien céder au sommeil. Alors, les monstres les plus épouvantables qu’ils puissent imaginer, ceux qui se cachent sous leurs lits lorsqu’ils sont éveillés, surgissent, sitôt leurs petits corps fatigués saisis par le sommeil. Alors ils ont peur, peur de se coucher, peur de s’endormir, peur de demain. Ils l’ignorent, mais ils ont besoin d’un « non » pour les sécuriser et les aider à grandir. <br /> <br /> Au 4ème habite Ifrikia, une originale qui se balade avec un manteau à imprimé floral rouge japonisant, sur fond noir, béret assorti, et gants de cuir avec lacets pour préserver du froid ses mains couvertes de bijoux en provenance du monde entier. Elle porte des sarouels, non pas comme une provocation, ni comme une quelconque velléité de séparatisme, mais parce que c’est sa culture et parce qu’elle se sent bien ainsi. Ses vêtements, ses bijoux disent tout de son identité mondiale. Ce intérêt pour l'ailleurs lui vient de ses parents, décédés depuis une bonne décennie. Ils l’ont laissée avec une fratrie disloquée et distante, qui n’a, de toute façon, jamais été beaucoup présente. Solitaire mais solaire, elle a un mot gentil pour tout le monde et ne refuse jamais son aide. Tôt le matin et tard le soir, elle sacrifie au rituel du petit tour sur le palier, instauré par Zaza, sa petite chatte de gouttière au caractère bien trempé et à la présence magnétique. Parfois, un voisin sort au même moment et Zaza se précipite dans son sanctuaire, ce qui amuse le voisin. Comme sa maîtresse, cette chatte n’apprécie de compagnies que triées sur le volet. Ifrikia se plie bien volontiers à cette douce tyrannie, à cet amour qui s’exprime à coups de griffes et de crocs dans le jeu de la chasse.<br /> <br /> Les chats peuplent les solitudes et console des vicissitudes.<br /> <br /> Et puis, il ne faut pas oublier, tout en bas, dans sa loge, Denis le gardien. Il prend son café après avoir fait le ménage dans les deux bâtiments et sorti les poubelles. Il écoute, il entend, il prend le pouls, il est le témoin de la respiration de cette petite vie en communauté non choisie. Il entend les plaintes, les craintes, les chagrins. Parfois, il entend des sanglots, ou bien des rires étouffés derrière les portes, ou par les fenêtres entrouvertes. Il sent la peur aussi, qu’il connait bien. Agréable et bienveillant, il se montre jovial avec tout le monde. Il s’est vite fait connaitre et apprécié de tout le quartier. Mais, en réalité, son sourire cache une profonde douleur, laissée là-bas derrière lui, dans son Congo natal meurtri par l’interminable guerre. Alors, il lave, il nettoie, il récure, il fait briller et il rit de tout, comme pour effacer de sa mémoire les atrocités qu’il a fuies. Mais la nuit, avant de s’endormir, une larme coule sur sa joue. Il pense à Patrice Lumumba.
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J
L’ESCALIER DU PARADIS<br /> <br /> Parmi toutes les lettres que je dépouillais chaque semaine, c’est sa belle écriture sur l’enveloppe qui m’attira. Je m’occupais alors, un matin par semaine du courrier du fan club d’un groupe de rock à la mode. C’était il y a longtemps. A cette époque on écrivait aux artistes qu’on aimait pour demander une photo dédicacée. La plupart de ces courriers étaient mal écrits, dans un français aléatoire et une orthographe toute relative. Celle–là sortait du lot. Le style, les mots choisis et la calligraphie m’attirèrent. J’ouvrais fiévreusement l’enveloppe, plongeais mes yeux fertiles plus avant, c’était une femme. En substance elle racontait être en instance de divorce et s’étioler… Les mots criaient famine, les virgules comme des silences. Elle est courageuse, inconsciente, ou à l’abandon que j’me dis, pour se dévoiler ainsi. <br /> <br /> Alors, je ne sais quel diable m’a chatouillé, mais il y avait en bas, dans son post-scriptum son numéro de téléphone. Il était onze heures, je composai le numéro, chose que je ne faisais jamais.<br /> <br /> Au bout du fil elle décrocha, et tout de suite me présentais : «  Bonjour je suis le manager du groupe… » Passé sa surprise et les considérations artistiques, je sentis tout de suite le terrain praticable. Assez facilement elle se décrit quand je lançais la question au hasard. « Je suis en pyjama… je passe l’aspirateur… » J’imaginais la scène et commençais à m’échauffer. La conversation devint alors plus précise. Au bout du compte et après cet échange, d’un commun accord, on se fixa rendez-vous à 15heures sur un parking d’autoroute, à cent kilomètres de Paris, du côté d’Evreux. En écrivant ces mots je mesure l’incroyable folie de la proposition, et la situation. N’empêche qu’à 15 heures elle vint au rendez-vous tout comme moi, et après une brève reconnaissance : c’est vous, c’est moi, je la suivais en voiture, la sienne ouvrant la route. On s’arrêta dans une auberge.<br /> <br /> Une auberge bucolique, avec des poutres marrons et des murs en plâtre blancs, ça sentait bon la campagne, l’humidité, le feu de bois mélangé. C’est l’escalier dont je me souviens le plus aujourd’hui. Un escalier encastré en colimaçon entre deux murs étroits, un escalier avec sa boule en cuivre, avec sa belle rampe en bois et cet épais tapis rouge qui n’empêchait pas aux marches de grincer. Bien sûr il y eut la tendre guerre de nos corps, le sel de l’aventure et le piment de l’inconnu, mais quand j’y repense, plus fort que ses longs cheveux blonds, plus fort que ces seins généreux, que ses jambes comme des lianes, c’est l’escalier, intime et vulgaire, simple et généreux qui me revient en avalanche. J’ai oublié le nom de cette ménagère de moins de cinquante, pas sa façon de trémousser son derrière sur ces marches, ni cette impression de paradis qui m’envahit.
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