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24 mars 2020

Rodney Saint-Éloi, aux Rencontres poétiques chez Tiasci - Paalam, en mars 2020

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C’est sa grand-mère Tida qui lui a donné le goût d’apprendre, d’apprendre à lire, elle qui ne savait pas lire, et le goût de la poésie. Tida qui vivait près de son cercueil et fleurissait sa propre tombe. Telle est la vie en Haïti. Et Rodney Saint-Éloi est né à Cavaillon en Haïti. Sa grand-mère Tida lui faisait lire et répéter le Psaume 23 : « Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien ». Cette foi-là (« je ne manquerai de rien ») n’était pas qu’une parole en l’air. C’était une forme de volonté : ne manquer de rien. Quand on naît en Haïti, Ayiti, on est toujours Haïtien, où qu’on vive. Ce n’est pas une question de racines. Les sédentaires pensent posséder la terre, les nomades pensent que les humains appartiennent à la terre. « On nous a silenciés », dit-il. Et contre cela, il cite le Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire, le Nègre fondamental, évoque la violence coloniale. Et nous accueille. C’est lui, en effet, qui nous accueille ce soir-là. Si vous êtes des humains, dit-il en substance, et que vous veniez en Haïti, on vous dira que vous êtes Nègres, c’est-à-dire humains. Comme on dit Innus, pour ces autochtones des Amériques, survivants d’un récit qu’on ne raconte pas et qu’il publie dans sa Maison d’édition, Mémoire d’encrier. Il cherche ce proverbe africain qui dit à peu près : Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. Et il affirme que l’histoire de ceux qu’on a silenciés s’exprime par la poésie. Et qu’il ne faut pas trahir le poème. C’est la leçon qu’il a apprise de sa grand-mère Tida. 

Cette soirée du début du mois de mars s’inscrivait dans la caravane que Mémoire d’encrier commençait en Europe, caravane qui a dû s’interrompre à cause de l’épidémie qui se répand dans le monde. Il est rentré à Montréal d’où il envoie ce message :

Le temps est aux urgences. À la magie qui nous apprendra à dire demain.
Face au désastre, y a une chanson, une parole, une intelligence à venir.
En nous et autour de nous cette chanson ou ce mot qui rassemble.
Pour exister, plus que jamais, nous aurons besoin de phrases enflammées,
de rituels grandiloquents capables de donner aux jours une lumière et un sens.

La littérature offre ce viatique, cet art d’être vivant au temps des virus.

Alors, ami.e.s auteur.e.s, vivons le plus près possible de nos rêves de beauté, de justice et de vérité.
Nous en aurons besoin à la saison nouvelle, qui sera de promesses et de recommencements.
Le monde s’effondre, disait Chinua Achebe.
Le monde naît également. Je vous appelle à cet espoir-là.

Certains mots que l’on croyait abîmés reviennent à nos oreilles :
solidarité, égalité, valeur, vertu, collectif, être et vivre ensemble.
Les politiques, les milliardaires, les puissants, tout le dispositif de guerre semble englué dans l’impuissance.

Écoutons le chant des oiseaux dans les forêts imaginaires.

Après tout, nous sommes en train de faire place aux mots, aux légendes, à l’humain et aux vivants.
Dans notre humanité de confinement, mijotons les nouveaux narratifs, la possibilité d’un monde neuf.
Tenons-nous ensemble, malgré la distance obligée, réchauffé.e.s par l’amitié du poème
et la pensée d’un monde à habiter ensemble.

Rodney Saint-Éloi

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