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5 novembre 2019

Berta Isla, de Javier Marías (extrait)

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— Nous sommes plus ou moins comme le narrateur à la troisième personne dans un roman, Nevinson, je suis sûr que ça vous est arrivé d’en lire, des romans - poursuivit Tupra d’un ton didactique -. C’est le narrateur qui décide et qui compte, mais on ne peut ni l’interpeller ni le questionner. Il n’a pas de nom et ce n’est pas non plus un personnage, à l’inverse de celui qui raconte à la première personne ; on le croit, et donc on ne se méfie pas de lui ; on ne sait pas pourquoi il sait ce qu’il sait ni pourquoi il omet et tait ce qu’il tait, ni pourquoi il est habilité à déterminer le sort de chacune de ses créatures, sans que jamais on ne le remette en cause. Il est clair qu’il existe et n’existe pas, tout à la fois, ou qu’il existe tout en étant introuvable. Il est même indétectable. Attention, je parle ici du narrateur et non pas de l’auteur, bien tranquille chez lui et qui n’est pas responsable de ce à quoi se réfère son narrateur et serait même en mal d’expliquer pourquoi ce dernier en sait aussi long. Autrement dit, le narrateur à la troisième personne, omniscient, est une convention que l’on accepte et, d’une façon générale, celui qui ouvre un roman ne se demande ni pour quelle raison ni à quelle fin il prend la parole et garde jalousement durant des centaines de pages cette voix d’homme invisible, cette voix autonome et extérieure venue de nulle part. — Il fit une pause, tortilla une petite boucle sur sa tempe, but une gorgée de sa bière, déjà éventée. — Après tout, ne sommes-nous pas quelque chose d’approchant, une convention que l’on accepte, comme on accepte sans objection le hasard, comme on accepte sans discuter les évènements, les accidents, les catastrophes, la bonne ou la mauvaise fortune ou le malheur ?

extrait de Berta Isla, page 137 - de Javier Marías

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