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6 décembre 2018

A hole in time (Un trou dans le temps), exposition au Cac La Traverse d'Alfortville (94) - suite

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C’est tout ce qu’on a pu sauver de l’incendie. Quelques livres en partie consumés où surnagent des mots. L’obus qui est tombé sur la maison a creusé un trou profond dans la terre, éjectant toute la bibliothèque rassemblée année après année par les gens qui habitaient là, enterrée pour traverser la guerre avec l’intention de la ressortir une fois la paix revenue. Hélas, la guerre a labouré le sol et la maison entière a brûlé. L’enfant regarde tristement le tas encore fumant. Pour lui, désormais, le monde fait silence, les explosions l’ont rendu sourd. Il est sidéré : ses yeux n’ont pas de larmes, sinon il aurait, de ses larmes, tenté d’éteindre le feu. Il lit sur une banderole attachée à un drone traversant le ciel : Le monde est à nous. Il reçoit ce message hostile avec une sensation d’épuisement. Mais partir ? Partir où ? Faire le tour du monde ? On lui a dit qu’ailleurs, ce n’était pas la guerre qui tuait, mais des incendies incontrôlables, des coulées de boue dévastatrices, des inondations, des séismes, des éruptions volcaniques. Il rêvait encore il y a peu des merveilles du monde. Ses parents lui avaient promis qu’ils iraient les voir après la guerre, mais ses parents ont disparu dans le trou béant où était leur maison. On le laisse approcher. Ces pages qu’un peu de vent remue sont illisibles ; pourtant il y voit des mots qui lui semblent incompréhensibles : « sauver le monde », « une autre fin du monde ». Il ne peut rien imaginer à partir de ces mots. Il voudrait seulement, en ce moment, pouvoir se dire qu’il habite le monde mais que peut encore signifier « habiter » quand on ne sait pas où on dormira ce soir ni même si on dormira ? Tout est détruit autour de lui, c’est un champ de désolation. Un homme s’avance vers lui. Il le connaît, ils étaient voisins. Il a l’air aussi hébété que lui. Il s’accroupit à ses côtés. Aux premiers mots qu’il dit, il voit le visage de l’enfant s’étonner. Pas un son ne lui parvient. L’homme a compris. Il prend un livre dont la couverture est encore un  peu rigide. Il ramasse un bout de bois noirci et écrit à l’intérieur de la couverture : « Ne restons pas ici entre deux mondes, celui des morts et celui des vivants. Prenons un peu de repos et commençons demain à changer le monde, même si cela te semble étrange. » L’homme se redresse, l’enfant lui prend la main et ils s’éloignent ensemble vers un ailleurs dont ils ne savent pas encore s’il est possible.

(texte écrit devant « Le monde sous silence », d'Émilie Benoist)

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