Trois ex, de Régine Detambel

Heureusement pour elles, écrit dans ce livre Régine Detambel, la vie des femmes de Strindberg ne s’est pas arrêtée à cet homme, qui fut, sans aucun doute, un mari épouvantable, ravagé par la jalousie et la paranoïa. Trois mariages dont la durée s’est réduite du premier au dernier, comme si ces tentatives de vie commune se savaient vouées à l’échec. À cause des « Puissances » qui hantent l’écrivain et lui infligent, presque toute sa vie durant, la misère et la folie. Pourtant, Régine Detambel, sans excuser l’homme, ne le condamne pas, comme s’il avait déjà été condamné de son vivant, absorbé par son travail d’écriture qui lui prend toute son âme, longtemps mal payé de son travail, accusé de blasphème, et même après sa mort, sa tombe profanée par quelques religieux fanatiques. Vous pensez, entrant dans cet enfer, recevoir un brûlot féministe, tant cet homme a méprisé les femmes, et vous voyez une société européenne déliquescente, « la pagaille partout », et la solitude des artistes aux prises avec la création.

Dans la pièce du Théâtre du Soleil, Une chambre en Inde, le directeur de la troupe « pète les plombs » et la police le cherche pour avoir grimpé nu sur la statue de Gandhi. Strindberg « escalade la statue équestre de Christian V » à Copenhague… Ce n’est pas Nietzsche embrassant un cheval battu dans une rue de Turin. Ce n’est pas Van Gogh se coupant l’oreille à Arles. Ce n’est pas Artaud, arrêté à Dublin pour vagabondage et trouble à l’ordre public, Artaud qui écrira Le Théâtre et son double. Mais cet homme, poursuivi par les « Puissances », n’est-il pas proche de Girolamo Cardano dont Régine Detambel transcrit le récit qu’en fait son démon dans un autre livre, La splendeur ? Proche de ces enfants qui, dans Solos, font l’expérience du Diable en musique ? Et de ceux dont les cicatrices écrivent l’enfance ? « D’anciennes émotions qui n’étaient oubliées qu’en surface »…