Le dépeupleur, de Samuel Beckett

« Séjour où des corps vont chercher chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine ». L’entrée de Serge Merlin suit de près l’entrée des spectateurs. Ce séjour est donc notre séjour et il sera question de nous-mêmes, venus ici pour, chacun, chercher son dépeupleur. Attendons-nous donc à mourir puisqu’il n’est pas d’autre issue. Et ce comédien qui vient après nous, fermant la porte, se joue de nous. Il décrit avec précision ce lieu, un cylindre harmonieux, où nous tournons. Un cylindre, c’est-à-dire pas une sphère mais un lieu clos (nous n’en avons pas d’autre), où nous tournons (ce n’est pas la terre qui tourne), serrés les uns contre les autres, cherchant sans vouloir vraiment quitter ce statut de chercheurs (puisqu’il n’y a que cela à faire), parfois nous arrêtant, et au bout de quelques secondes tout repart. Pas d’issue, donc, des échelles mais sans pouvoir toucher le ciel, des tunnels mais dont on ne sait où ils mènent. Et les relations sont hasardeuses, les amants n’ont guère le temps de faire l’amour, décrit ici comme une simple opération de pénétration furtive. Pas d’amour, donc. Rien que chercher, tourner, emportés par la voix étrange de Serge Merlin, un peu savant fou, un peu chef d’orchestre, un peu clown. Et quand, l’acteur ayant salué, nous ayant laissé à la solitude (« un seul être nous manque et tout est dépeuplé »), nous sortons dans la cour du Théâtre des Déchargeurs, nous savons que, sans doute, nous nous rencontrerons plus tard, au hasard des pas qu’il nous faut faire dans ce cylindre, harmonieux comme l’écrit Beckett, puisqu’il n’y a pas d’issue possible à notre état, et que tout est vanité, la recherche comme la fuite.

Texte : Samuel Beckett - Mise en scène : Alain Françon - Lumières : Joël Hourbeigt - Décors et costumes : Jacques Gabel

Photo : Serge Merlin dans "Le Dépeupleur" © Michel Corbou

J'ai vu ce spectacle au Théâtre des Déchargeurs, à Paris, où on peut le voir chaque lundi, à 21h45, jusqu'au 19 décembre 2016.