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20 février 2013

Un voyage en Inde, de Gonçalo M. Tavares

un_voyage_en_indeA cause du nom du héros, Bloom, on pense à James Joyce, et puis à Ulysse et seulement ensuite, pour ceux qui comme moi connaissent peu (voire pas) la littérature portugaise, on arrive aux Lusiades de Luiz de Camões, l’épopée portugaise du XVIe siècle, dont une citation ouvre le livre. Ce livre ne serait-il qu’une suite de références à la littérature, aux littératures (puisqu’on y rencontre aussi le Mahābhārata) ? Et pourquoi la vie individuelle ne serait-elle pas « qu’une répétition des jours que d’autres auraient déjà traversés en parfaite sécurité » ? Ces mots rappellent ceux de Joyce : « La vie c’est beaucoup de jours, jour après jour ». Mais pour nous dire de nous méfier de la simple répétition, l’auteur lui-même, s’il semble répéter, fait tout autre chose : il invente, et il affirme que « la mémoire a de l’avenir » et que raconter une histoire c’est « étirer la distance entre le premier et le dernier mot ». Entre le passé et le présent, il n’y a pas que du temps, il y a de l’espace, et de la grammaire, et tant de routes à créer là même où des armées se combattaient auparavant, là même où le pays est, comme tous les pays, « beau et brutal » à la fois. L’Inde sera-t-elle différente ? La sagesse y aurait-elle élu domicile plus qu’ailleurs ? Les tribulations de Bloom en Inde nous démontreront qu’il n’en est rien, que même Paris où fleurit l’amour ne vaut guère mieux, qu’on s’entretue aussi bien à Lisbonne que dans les bois autour de la capitale française et que le monde « a perdu l’Esprit ».

Gonçalo M. Tavares, qui ne manque pas d’humour, sait que « changer l’emplacement du positif et du négatif » modifie sensiblement la perception de la réalité, que « l’eau est un élément fort », et que la forêt pourrait un jour contaminer l’usine. Narrateur, il se permet parfois des incursions dans le récit, ne comprend pas pourquoi son héros ne l’entend pas, ou nous avertit qu’il est (lui, l’auteur) dans un train et qu’on pourrait le prendre pour un fou, étant en effet dans cette réalité en même temps que dans sa fiction et en même temps que dans son écriture elle-même reliée à tant d’autres. Et, finalement, « qui est Bloom ? Personne ne le sait (lui moins que personne : il est trop près) ». Le lecteur doit savoir prendre un peu de distance sinon il risque de sombrer depuis ce « pont élevé », à Lisbonne, « dans l’eau, tout en bas ».

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