Wahrschein Kabarett, au Festival Cergy Soit !

On appelle ça Théâtre d’Agit Prop (agitation, propagande), un théâtre pour éduquer les masses, comme on disait alors, et qui, bien sûr, les manipulait. On m’a remis, quand je suis arrivé, une question à poser pendant le spectacle, et je n’étais pas le seul. Le public est invité à participer, mais tout est prévu. On va très vite dénoncer cette propagande de la RDA, disparue en 1989. Mais…

Martina Krausse, transfuge de RDA, revenue dans son pays au moment même où le mur de Berlin est tombé, est aujourd’hui invitée dans une émission télévisée. C’est le même public. Et la manipulation n’a même pas besoin de se cacher : des pancartes annoncent «Applaudissez», «Huez», «Etonnez-vous»… Et nous le faisons. Ce n’est pas grave, c’est du théâtre, c’est un jeu, seulement un jeu. Mais…

Quand Martina est sommée de répondre à la question : «Excusez-vous les 192 morts devant le mur reprochés à Honecker (le dernier dirigeant de RDA) ?», elle répond : «Combien d’Africains sont morts dans des embarcations de fortune sous les yeux des garde-côtes européens ?»

Quand on lui demande si les méthodes de la Stasi (dénonciation organisée) ne la choquent pas, elle signale que, récemment, quelqu’un s’est fait licencier de son entreprise pour avoir critiqué son employeur sur Facebook.

Et ainsi de suite. Ce spectacle n’est pas fait pour nous donner bonne ou mauvaise conscience. Ni pour vanter un régime politique plutôt qu’un autre. Il nous invite à ouvrir les yeux sur notre liberté – liberté – chérie, à réfléchir au fait que le capitalisme ne tolère aucune alternative, et à nous interroger sur notre aptitude à changer la société. Ce n’est pourtant pas un spectacle idéologique. Il cite Soljenitsyne : «Pour avoir connu un pays où le socialisme a été mis en œuvre, je ne me prononcerais pas en faveur d’une telle alternative. (…) Mais si l’on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l’Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative. Non je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne.»

Je pense souvent à Christa Wolf et à ceux de ses compatriotes qui ont vécu, en moins d’un siècle de telles transformations : changements de frontières, guerres, changements de système politique (en passant par les extrêmes), pour, finalement, que tous leurs repères disparaissent dans la réunification. «Je regrette, dit Burkhard Lehmann, créateur du Wahrschein Kabarett, le gommage pur et simple d’une expérience politique.»