Les Villes Invisibles, d'Italo Calvino
Voyageons avec Italo Calvino, sans bouger de ce coin d’empire de Kublai Khan, où Marco Polo raconte Les Villes Invisibles (publié au Seuil, collections Points). Ce sont des villes qui ont des noms de femme, chacune a une particularité et le voyage peut être long. On se croirait parfois dans une sorte de recueil de contes des mille et une nuits. Un mot de Kublai Khan, et Marco Polo raconte. On se croirait parfois dans Candide, de Voltaire, le héros faisant le tour d’un monde imaginaire et découvrant les turpitudes humaines, violence, lâcheté, désir de richesse ou de puissance. Ici, chaque ville représente un peu du désir des hommes d’habiter, de vivre ensemble, vivants et morts, puisque les cimetières font partie intégrante de la ville humaine (et que ce sont même des sépultures qui nous renseignent sur la vie de nos ancêtres lointains).
Il y a cette Zobéïde (page 58), ville construite par des hommes ayant fait un rêve semblable et cherchant à arrêter une femme nue courant par les rues. Il y a cette Armille (page 63), où ne se dressent que les canalisations d’eau, ville « construite par les hommes comme un présent destiné à se concilier les bonnes grâces des nymphes offensées par notre mainmise sur l’eau ». Il y a ces villes doubles, en miroir, dont Andria (page 182) n’est pas la moins intéressante, puisque construite et agencée comme les constellations du ciel, et tout ce qui change ici bas a une influence sur ce qui se passe là-haut. Il y a cette ville dont on n’arrive pas à sortir puisqu’elle est partout, les espaces se sont mélangés.
Très courts textes ponctués du dialogue à chaque fois brièvement interrompu entre Kublai Khan et Marco Polo, dont voici, dans le désordre (mais y a-t-il UN ordre ?), des extraits : « Ce qui commande au récit, ce n’est pas la voix : c’est l’oreille. » - « Le catalogue des formes est infini. » - « En voyageant on s’aperçoit que les différences se perdent : chaque ville en arrive à ressembler à toutes les villes. » - « Moi aussi j’ai pensé à un modèle de ville duquel je déduis toutes les autres. C’est une ville qui n’est faite que d’exceptions, d’impossibilités, de contradictions, d’incongruités, de contre-sens. » - « L’ailleurs est un miroir en négatif. Le voyageur y reconnaît le peu qui lui appartient, et découvre tout ce qu’il n’a pas eu, et n’aura pas. »
On peut lire, dans un article de Jacques Jouet (L’homme de Calvino) sur le site de l’Oulipo (lien dans la colonne de droite), cette phrase extraite de Palomar (un autre livre de Calvino) et s’agissant du lecteur d’un livre, quel qu’il soit :
« (...) du moment où il a lu ce livre, sa vie devient celle de quelqu’un qui l’a lu, et peu importe qu’il l’ait lu tôt ou tard, car même la vie qui a précédé cette lecture prend maintenant dans sa forme la marque de cette lecture. »
J’ai lu Les Villes Invisibles et même la partie de ma vie qui a précédé cette lecture en est changée. Je vais reprendre la lecture de ma collection de Peeters et Schuiten, et notamment le Guide des Cités, publié aux éditions Casterman (dont quelques images illustrent cet article).