Goran Bregovic

Tu sors du concert de Goran Bregovic, tes pieds tes jambes vont encore au rythme des cuivres (trompettes, barytons, saxophone), de l'accordéon et de la grosse caisse, tes épaules balancent tes bras sont ouverts, ta poitrine offerte à tous embrassements.

Et tu te souviens des percussions turques (davul) de l'été, tu imagines des scènes de films de Kusturica, bien sûr. Une sorte de joie s'est emparée de toi, qui n'est pas près de te lâcher.

Et tu entends Goran Bregovic te demander de crier après la trompette et 1, 2, 3, 4 ! "Chaaargez!". Chanson à boire chanson de guerre dans les Balkans. Guerre dans les Balkans. Guerre. Alcool. Boire pour y aller. Se droguer pour y aller. Pour se soumettre aux ordres, à l'ordre. Pour oublier. Une chanson de ton enfance te revient : "C'était un soir, bataille de Reichshoffen..." Tous les peuples ont en commun ces combats meurtriers, inutiles même du point de vue militaire. Ils en font des chansons. Pour oublier.

Et la musique te reprend côté fraternité. Et des voix féminines, venues de l'Est, charment tes oreilles. De l'Est aussi, cette femme, "des confins de l'Ukraine", rencontrée dans le livre de Cécile Wajsbrot, Conversations avec le maître. De l'Est aussi, ces Roms qui installent un camp de misère aux abords de l'autoroute A86. Tu penses à Herbert Pagani : "Est-ce vrai qu'on t'encombre avec notre nature / à moins qu'on ne l'exprime d'une scène en chantant ?"

Et Goran Bregovic nous fait danser. Dans la salle de spectacle aux fauteuils rouges, des mains se lèvent et frappent le rythme. Le prix de la place, les gitans dont Goran Bregovic parle aussi la langue n'auraient pas pu le payer. Ni les travailleurs pauvres de nos sociétés riches.

Et tu sors du concert de Goran Bregovic. A la fin, il te semblait assister à un concert punk (mais assis, et sans punks). Tu n'as pas compris les paroles. Tu es heureux d'y avoir assisté, d'avoir écouté des musiques d'ailleurs, d'avoir partagé ce moment avec d'autres (la salle du Pôle culturel d'Alfortville était pleine). Et tu te dis que cet homme, tout vêtu de blanc avec des chaussures jaunes, entouré de musiciens et chanteuses vêtus d'habits folkloriques, doit bien se demander ce que ce public a de commun avec un gouvernement dont un ministre est chargé de "l'identité nationale".

Santé ! à la vôtre !