Gentille

Elle a quelque chose de très proche, une amie qu’on connaîtrait de longue date, ou une qu'on confond avec cette amie de longue date, et de très distant, pour ne pas dire inaccessible, ou une qu'on ne remarque pas. C’est sous la douche que cet aspect paraît le plus évident. Fontaine Leglou (Emmanuelle Devos) se regarde dans le miroir de la salle de bain, nue, ne portant que la bague qu’elle vient de découvrir, qui lui est destinée mais qui a été oubliée là par Michel (Bruno Todeschini), qui voudrait l’épouser. Et dans son jeu à ce moment-là, il y a toute l’ambiguïté et la drôlerie du personnage, sans fioritures : elle est nue, elle a mis la bague, l’eau coule, elle a ouvert la porte coulissante de la douche, elle se regarde dans le miroir d’une armoire de salle de bain, c’est-à-dire qu’elle ne se voit pas, qu'elle voit une petite image que les produits posés sur la tablette tronquent et qu’elle cache au bout de quelques mimiques en refermant la porte de la douche. On ne peut pas oublier son nom quand l’eau coule, c’est bien elle, comme ce sera toujours elle quand elle lavera la bague quelques scènes plus tard. A chaque fois, on pense que cette bague va partir dans le siphon, dans un glouglou fatal. C’est un personnage fantasque qui se retrouve les pieds nus parce qu’elle rend à son ex les chaussures dont il a le culot de souligner qu’il les lui a offertes, mais à qui chacun peut se confier : Philippe (Lambert Wilson), dont elle tomberait presque vraiment amoureuse, Jean (Michael Lonsdale) qui lui avoue avoir été clochard… Et il y a aussi son destin, Marco (Eric Elmosnino), qui lui reproche de manger trop de bonbons mais insiste pour qu’elle allume une cigarette quand elle voudrait avoir arrêté de fumer.

Le comique est partout dans ce film. Il est dans le langage, le goût des mots (« un raout avec tout un aréopage », par exemple), dans l’ambiguïté du personnage, l’incongruité des situations (comme dans la visite aux parents – Bulle Ogier et Michael Lonsdale – quand Michel veut officialiser sa demande en mariage), et jusque dans « le caca » (comme dit le gastro-entérologue) dont Fontaine Leglou voudrait bien sortir ou se défaire, même si elle doit tirer plusieurs fois la chasse…

C’est un film de Sophie Fillières, paru en décembre 2005 et diffusé cette semaine sur Arte.