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13 juillet 2009

Plantations

IMG_0459Son grand-père, au fil de sa vie, s’est appliqué à faire d’autres plantations. Beaucoup ne sont pas habituées à ce climat du Nord, et cela lui vaut des déboires. Il se procure des espèces rares de paulownias, de rhododendrons, d’althaeas, toutes plantes censées fleurir à merveille. Elles végètent et souvent dépérissent. Seul a vaillamment résisté un gros ginkgo, c’est normal, le ginkgo est l’un des arbres les plus vieux du monde, il existait bien avant les hommes et existera sûrement bien après eux. Ce ginkgo-là est triste, car il est désespérément solitaire. La rocaille donne de meilleurs résultats, même si les plantes grasses ne résistent guère aux grands froids. Seulement, c’est très difficile de différencier les pieds de cyclamens nains et de fleurs alpestres qui poussent à ras de terre des vulgaires mauvaises herbes. La plus grande réussite est l’introduction, grâce à quelques graines expédiées par un lointain correspondant, d’un végétal largement feuillu et vaguement poilu qui porte le nom prestigieux de berce du Caucase. Celle-ci s’est répandue en peu de temps partout. Par son aspect, rien ne la distingue au premier abord de cette plaie des jardins que l’on appelle vulgairement « patte d’oie », si ce n’était son gigantisme. Elle produit des feuilles énormes, une tige fibreuse qui dépasse en hauteur la taille du grand-père et en épaisseur celle d’un jeune noisetier, surmontée d’immenses ombelles qui expulsent des milliards de graines. La grand-mère ne cesse de tonner contre cette prolifération, elle évoque les grandes invasions, elle rappelle que les Huns venaient sûrement des mêmes contrées. D’ailleurs, dit-elle avec raison, cette berce du Caucase n’est en fait qu’une mauvaise herbe hypertrophiée, une plante parasite par excellence, qui détruit l’ordonnance des pelouses et met le potager sens dessus dessous plus sûrement que les pires chiendents, car sa racine, en forme de rave et couverte d’une substance gluante sur laquelle les doigts dérapent, plonge jusqu’aux entrailles de la terre, ce qui la rend impossible à extirper en entier : on a beau faire, il en reste toujours un morceau et tout est à recommencer un mois plus tard.

Extrait de Des saisons au bord de la mer, de François Maspero (éditions du Seuil)

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