Ecrire en pays dominé, de Patrick Chamoiseau - 2

De Chamoiseau et Glissant : créolisation pour tous

C’est avec Edouard Glissant que naît cette idée. Faire de ce qui paraît comme un handicap une force. « Horreurs. Dénis. Souffrances. Aventures. Nœud alchimique des habitations. Des races. Des hommes. Des langues. Des conceptions du monde. Un étonnant reflet du Divers du monde. (…) Pas de discours des origines. Pas de mythe fondateur général. Pas de sacralisation d’un commencement quelconque. Rien. Rien que le grouillement mutant de ce que les peuples avaient charroyé-là. »

Cette image me rappelle une citation de Jean-Luc Nancy : « La communauté n’est pas un rassemblement d’individus postérieur à l’élaboration de l’individualité elle-même. Mais la communauté n’est pas davantage une essence de tous les individus, une essence qui serait donnée avant eux. Ce n’est pas un être commun, c’est un être en commun. » (La communauté désoeuvrée)

Pour Patrick Chamoiseau, cela passe par l’écriture d’un «moi-colons», d’un «moi-Amérindiens», d’un «moi-Africains», d’un «moi-Indiens», d’un «moi-Chinois», d’un «moi-Syro-Libanais» pour arriver à ce «moi-créole». C’est tout ce cheminement dont témoigne le livre : à travers les conteurs, Césaire et la Négritude, la poésie révolutionnaire… Chamoiseau ne renie rien, il avance avec ses incertitudes, pour écrire à présent :

Pas de paradis perdu, ni de paradis à venir. La communauté, c’est ce qu’on met en commun, et d’abord peut-être en soi-même. Car chacun, tout homme, toute femme, porte cette diversité, par ses ascendants et par le lieu où il vit.

Je ne supporte pas les discours (et ce sont souvent des discours religieux) qui prétendent que nous venons d’Une origine et que nous allons vers Une fin. Nous naissons de la diversité et vivons et mourons dans la diversité. Pas de pureté originelle. « L’Autre me change et je le change. Son contact m’anime et je l’anime. (…) Quand on a élu en soi l’idée de la Créolisation, on ne commence pas à «être», on se met soudain à «exister», à exister à la manière totale d’un vent qui souffle, et qui mêle terre, mer, arbre, ciel, senteurs, et toutes qualités… »