La complainte du progrès
Qui n’a pas dans son grenier, au fond d’un placard, quelque part ou caché à la vue, un objet inutile, pourvu d’un fil et d’une prise débranchée à jamais ?
De ces objets on pourrait faire un tas, une collecte de quartier pour ériger une sculpture de la consommation, absurde monument de la bêtise universelle, hommage à l’obsolescence programmée, triomphe du Marché. On y trouverait pêle-mêle : robots Marie, couteaux électriques, ouvre-boîtes électriques, poivriers électriques, machines à friser, à défriser, à teindre, à déteindre, à peler les patates, à réduire les carottes en fuseaux calibrés, à profiler les frites ; on trouverait des brûle-parfums, vierges Marie illuminées, bouddhas fluorescents, tire-bouchons, brosses à dents, épilateurs, cafetières, bouilloires, couvertures chauffantes, ventilateurs, conditionneurs d’air, pulseurs, aspirateurs de fumées, détecteurs de fumée, chauffe-biberons, chauffe-plats, sièges de toilettes autotournants, veilleuses d’appoint, vélos fixes, musculateurs, rasoirs ; on y trouverait les vistemboires de Jacques Perret, les pistolets à gaufres de Boris Vian et quelques machines privées d’usages connus, issues de concours Lépine à l’époque des kilowatts bon marché.
De ce tas on pourrait rire.
Extrait du livre de Gilles Clément, Le salon des berces (voir dans ce blog, le 29 mars)
On peut se demander aussi s’il y a un rapport entre les robots Marie et les vierges Marie illuminées… Rappeler, s’il en est besoin que la marque Laden doit cette dénomination au prénom de l’épouse du fondateur de l’entreprise, «la Denise», ce qui en dit long sur l’idée que cet homme se faisait de sa femme… Se souvenir aussi de «la mère Denis», dont l’origine campagnarde était destinée à faire croire que le développement de l’électroménager rendait hommage aux valeurs dites d’authenticité…
Enfin, pour en savoir plus sur le vistemboire et le pistolet à gaufres, cliquez sur les images (Moulinex et Le Machin).
Merci à Ghislaine pour la photo et le commentaire qui y est lié (voir "un blog sur le chemin" ci-contre)